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« Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
Chers Frères et Sœurs,
La fête de l’Épiphanie est une fête particulièrement importante dans le cycle de Noël parce qu’elle marque l’ouverture aux peuples païens du salut offert en Jésus, Fils de Dieu. Le mot grec Epiphanie signifie manifestation : il s’agit de la manifestation de Dieu, sous les traits d’un enfant, non plus seulement aux bergers mais à des scientifiques, des astrologues païens. Il est manifeste que le Fils de Dieu, Jésus, est tout d’abord adoré par ses parents, puis par les bergers, puis par des païens qui viennent se prosterner devant Lui, avant d’être proclamé « Lumière qui éclaire les nations et donne gloire à ton peuple, Israël » par le vieillard Syméon. La démarche des Mages marque l’ouverture du salut aux peuples païens et annone la conversion des autres religions vers Celui qui est « le Chemin, la Vérité, la Vie. »
La catholicité du Salut offert en Jésus s’entend aussi des moyens d’accès qui conduisent à Dieu. Pour nous qui sommes issus de la tradition judéo-chrétienne, nous sommes habitués au principe de Révélation, c’est-à-dire au fait que Dieu s’est révélé, s’est fait connaître en Jésus. Cette révélation a été longtemps préparée dans le peuple d’Israël, par les différentes alliances, par les prophètes. Mais Dieu a agi de bien d’autres manières en dehors du Peuple hébreu. L’évolution de la pensée philosophique grecque depuis Aristote va vers le principe d’un Dieu Unique, éternel, créateur et source de tout bien et a préparé en quelque sorte une structure d’accueil intellectuelle au christianisme. Mais les Romains eux-aussi à leur manière ont préparé les mentalités à l’accueil du christianisme. Savez-vous que Virgile (70 AC-19 AC), auteur du siècle d’Auguste, écrira dans ses Bucoliques au Livre IV que la naissance d’un enfant divin, né d’une Vierge, amènera l’âge d’or. Je vous cite une partie du texte ; regardez comme c’est troublant : « Et les dernières traces de nos crimes, s’il en reste encore, pour toujours effacées, affranchiront la terre d’une éternelle terreur. Cet enfant vivra parmi les dieux ; il verra les héros mêlés aux divinités. Il gouvernera l’univers pacifié par les vertus de son père. (…) Cependant, divin enfant, la terre féconde sans culture, comme premiers cadeaux te prodiguera le lierre rampant (…). D’elles-mêmes, les chèvres rapporteront à l’étable leurs mamelles gonflées de lait ; les troupeaux ne craindront plus les lions terribles ; ton berceau, de lui-même, se couvrira de fleurs agréables. Désormais, périra le serpent dangereux et la plante au venin perfide ; en tous lieux poussera l’amome d’Assyrie. » À défaut de retrouver mot pour mot la prophétie d’Isaïe (Is 11), on retrouve les mêmes idées, les mêmes expressions et les mêmes animaux. Chez les Celtes encore la religion a préparé la venue du christianisme. Si les Celtes sont polythéistes, il y a au sommet de la religion celtique le principe d’un dieu qui existe en trois personnes, alors qui ne font pas un seul Dieu comme dans la Trinité, mais qui existent en un seul principe divin. On comprend alors que l’arrivée du christianisme avec le dogme de la Sainte Trinité ne constituera pas un gros obstacle pour les Peuples celtes. Voici quelques exemples méconnus qui nous montrent que Dieu a agi au cœur d’autres cultures, d’autres peuples pour préparer l’Avènement de Son Fils. Et dans l’Évangile, nous retrouvons les Mages, ces scientifiques, astrologues, qui par l’exercice de leur science et de leur intelligence sont parvenus à l’Enfant Roi d’Israël. L’Évangile de ce jour nous redit que l’on peut accéder à Dieu par la Révélation, mais aussi par l’exercice de son intelligence et par la science. Il n’y a pas qu’un seul moyen d’accès à Dieu ; Dieu passe par tout et agit dans toutes les cultures, toutes les religions. Nous retrouvons ici l’enseignement du Concile Vatican II qui nous enseigne dans la Constitution Lumen Gentium que les Semina Verbi, les germes de Vérité, sont répandues dans toutes les religions. Reconnaître cela ne revient pas à mettre toutes les religions au même niveau, mais revient à reconnaître que Dieu habite et travaille à sa manière toutes les religions pour que ces semences de Vérité conduisent ceux qui les suivent à la Vérité, qui est Jésus, Fils de Dieu.
Je voudrais m’arrêter maintenant sur la force d’attraction de ce petit bébé qu’est Jésus. Car c’est ce Nouveau-Né qui attire à Lui des hommes venus de l’autre bout du monde. Rendez-vous compte de la force d’attraction de Dieu ! Elle dépasse les cultures, les religions, les langues et un peu comme Abraham, fait parcourir des kilomètres. Cette force d’attraction s’exerce chez tous ceux qui ont un cœur ouvert à la Vérité. Et ce qui s’est produit il y a presque 2 000 ans, nous le voyons toujours se produire sous nos yeux si nous savons regarder correctement. Moi qui suis prêtre et qui ai une place privilégiée à cet égard, mais tous ceux qui ont la chance de travailler à la Vigne (et je dis bien la chance, et non le fardeau, même si par moment on peut éprouver de la lourdeur ou de la fatigue) je pense aux permanentes qui accueillent toutes les demandes qui arrivent au presbytère, mais aussi aux catéchistes des enfants, des catéchumènes, nous voyons ce même phénomène se reproduire sous nos yeux. Nous avons des gens issus de la tradition chrétienne complètement endormis avec un cœur fermé ou qui ne cherche pas ou plus Dieu ; et nous accueillons des gens qui ne sont pas issus de la tradition chrétienne, mais qui suite à leurs expériences de vies, de réflexions, parfois de malheurs (je pense à un deuil, à des expériences de souffrance), de passage par d’autres religions ou spiritualités, cherchent Dieu et viennent à Dieu. Ces personnes-là comprendront la force d’attraction du Christ dans leur vie. Eux-aussi sont venus de terres lointaines, loin de la connaissance de Dieu, mais s’approchent de Dieu. Quel beau parcours que ces catéchumènes (à ce propos, il faut prier pour eux, nous en avons 40 à la paroisse) qui avancent à leur rythme et sont amenés pour certains par leurs catéchistes à venir se prosterner devant le Saint Sacrement : c’est exactement la démarche des Mages.
Nous-aussi, bien qu’issus d’une tradition chrétienne et marqués par une pratique catholique avec prière, sacrements, pratique religieuse, nous sommes invités à la suite des Mages à nous laisser toucher par la force d’attraction qu’est le Christ. Et si nous ne parcourons pas des kilomètres, si nous ne revenons pas tous de lieux d’éloignement ou de perdition, encore que…la réalité du péché est là, nous sommes invités à découvrir que le Christ se manifeste dans nos vies et qu’Il en est en fait le vrai centre, la véritable attraction. Qui n’a jamais fait l’expérience que suite à une rencontre, un échange, une parole, un évènement, nous découvrons le Christ après coup derrière ? Là, il y a manifestation, dévoilement progressif ; et nous découvrons que Dieu est infiniment et parfaitement présent dans nos vies, mais de manière cachée. Il en va de même lorsque nous prions à partir de la Parole de Dieu. Il y a toujours plusieurs niveaux de lecture ; mais ne mettons pas de côté le cœur de la lecture auquel il faut tendre : c’est découvrir Jésus qui me parle. À la suite des Mages, nous sommes invités à découvrir que le Christ est le centre de tout, de notre vie, de notre cœur et qu’Il est la force d’attraction qui conduit nos vies, malgré le péché qui vient perturber ce chemin et malgré nos dispersions.
Alors, tout cela est bien beau, bien théorique…mais l’Évangile nous ramène à la réalité et nous montre qu’il y a aussi des forces d’opposition et des forces de mort. Elles sont principalement présentes chez Hérode. Avec l’épisode des Mages, la mort rôde autour de la crèche. Hérode a peur de Dieu ; il Le voit comme une menace pour sa personne, pour son pouvoir, pour sa vie et donc Dieu devient un ennemi. Alors que les Mages suivent l’étoile pour arriver à la pleine lumière, Hérode, lui, agit dans les ténèbres : il convoque les Mages en secret, il leur ment et prendra, à terme, la décision de tuer tous les nouveaux-nés. Après la naissance de Jésus, où il n’y avait pas de place pour Lui, maintenant arrive la mort. Tout chemin vers Dieu comporte ses embûches, ses menaces, ses oppositions, qui ne nous leurrons pas, veulent la mort de Dieu. À nouveau, nos amis catéchumènes comprennent de manière particulière ce que je dis là, eux qui font l’expérience des forces d’opposition qui se libèrent pour entraver leur marche vers Dieu. Mais, nous tous, si nous y prenons bien garde, dès l’instant que nous prenons une décision qui nous engage vers Dieu ou vers l’Église, d’une manière ou d’une autre, nous goûterons à ce combat. Ceci-dit, l’Évangile nous apprend que, malgré les forces d’opposition et de mort qui jonchent le chemin des Mages, l’œuvre de Dieu est plus forte et s’accomplira : les Mages ne tomberont pas dans le piège d’Hérode et Jésus et sa famille iront se mettre à l’abri en Égypte. Déjà l’ombre de la croix se dessine sur la crèche.
Frères et sœurs, par les différents aspects que j’ai relevés, nous voyons que la démarche des Mages n’est pas qu’un évènement historique, mais est une réalité toujours actuelle. Nous pouvons nous-aussi, tous, vivre cette démarche des Mages au travers de l’Adoration Eucharistique ; pas seulement parce que les Mages vont se prosterner et adorer Jésus, mais parce que l’Adoration est en elle-même une épiphanie, une manifestation de Jésus. Les Mages sont appelés à adorer Dieu sous les traits d’un Enfant ; nous, nous sommes appelés à adorer Dieu dans l’hostie consacrée. Les Mages viennent en pèlerinage à Bethléem, la Maison du Pain ; nous nous venons en pèlerinage au pied du Pain Consacré. Si la rencontre des Mages avec Jésus transforme leur vie, les fait rentrer par un autre chemin comme dit St Matthieu, c’est-à-dire différemment qu’ils ne sont venus en évitant la case piège Hérode, l’Adoration du Saint-Sacrement nous fait repartir nous-aussi différemment que nous sommes venus en évitant les pièges qui nous sont tendus et permettant à l’œuvre de Dieu de s’accomplir en nous et par nous. Belle fête de l’Épiphanie à tous, belle fête à tous ceux qui, à la suite des Mages, avancent progressivement vers Dieu et belle fête à tous les Adorateurs du Saint-Sacrement. Amen !
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