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5ème Dimanche du temps ordinaire
« Sois sans craintes, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Frères et Sœurs,
Cette page d’Évangile nous montre l’appel des 4 premiers disciples de Jésus. À force d’entendre ce passage, de le lire ou de le méditer, on finit par s’habituer et on risque de ne plus se laisser surprendre par la manière dont Jésus procède. Mais je voudrais attirer votre attention sur la manière dont Jésus s’y prend pour appeler ses premiers disciples, qui deviendront les Apôtres sur lesquels sera construite l’Église. Il y a tout d’abord à noter que l’appel de ses premiers disciples se fait à la faveur d’un miracle que Jésus accomplit : une pêche miraculeuse; miracle que Jésus reproduira une fois Ressuscité et au travers duquel ses disciples Le reconnaîtront. Je reviendrai également en fin d’homélie sur une des caractéristiques de ce premier appel : c’est que Jésus appelle deux couples de frères, si l’on peut parler ainsi.
Regardons donc la manière dont Jésus appelle ses premiers disciples. Il faut revenir à l’époque de Jésus et à l’ambiance qui règne en Israël à ce moment-là. Dans une sorte de frémissement général, tout le monde attend la venue du Messie que l’on sent imminente. Saint Luc nous dit que Jésus est suivi d’une foule nombreuse qui cherche à L’écouter et à se faire enseigner. Il y a par ailleurs en Israël à cette époque des gens très bien formés sur le plan religieux : des Pharisiens, des docteurs de la loi, des prêtres, des scribes. Or nous remarquons que Jésus ne choisit pas ses disciples parmi ces gens très bien formés et très savants. De-même, Jésus ne choisit pas ses disciples parmi cette foule qui a soif d’enseignement et qui Le suit. On aurait pu s’attendre à cela. Tout au contraire, Jésus va choisir comme disciple des gens qui ne Le suivent pas, qui sont à côté, qui font complètement autre chose : ce sont ces deux couples de frères pêcheurs. Jésus n’appelle pas parmi ceux qui le suivent déjà, mais Il va sur le terrain de personnes qui ne le suivent pas, qui ont une activité propre, qui sont des travailleurs, des gens qui ont une activité physique lourde et dure. Jésus va sur leur terrain et Il entre en dialogue avec eux, en leur demandant un simple service : pouvoir monter dans leur barque.
Frères et sœurs, je tire deux premiers enseignements de ce constat. Trop souvent lorsque que nous cherchons des personnes pour participer à la mission de l’Église, nous avons le réflexe de toujours regarder parmi les gens qui sont déjà dans nos filets pour prolonger la métaphore de l’Évangile, qui sont des gens que nous connaissons. Or Jésus a fait complètement l’inverse pour constituer son groupe d’Apôtres. Nous devons tous convertir notre manière de chercher qui nous pourrions appeler pour participer au travail évangélique ou apostolique. Ainsi l’Église grandira au lieu de se fatiguer.
D’autre part, j’attire votre attention sur une dérive qui s’est progressivement immiscée dans l’Église, notamment dans l’application du concile Vatican II. L’Église a parfois beaucoup trop intellectualisée la foi, laissant de côté des personnes ayant une manière de vivre la foi beaucoup plus simple. On redécouvre ainsi la beauté de la dévotion populaire aujourd’hui après l’avoir méprisée et considérée comme une superstition dans les années post-conciliaires, ce qui fait d ‘ailleurs que l’Église a envoyé un grand nombre de ses propres fidèles chez les intégristes. Et l’Église s’est éloignée bien souvent des petites gens, parfois même les traitant avec une sorte de mépris condescendant parce qu’ils sont des ouvriers ou des personnes manuelles notamment quand il s’agissait d’appeler des personnes pour participer à la mission. Mais juste une remarque, Frères et Sœurs, regardez l’Évangile : ces personnes-là sont les premières dans le cœur de Jésus et seront les premières au Ciel. Et c’est à eux que Jésus a confié l'Église.
Une fois le service demandé, Jésus va les amener à vivre une expérience de Dieu. Cette donnée est très importante ; elle signifie que pour devenir disciple, il ne suffit pas seulement de rendre un service mais dans le fond, de vivre une expérience de Dieu. Dans l’Évangile la situation est la suivante : les disciples font l’expérience de leur pauvreté, ils n’ont rien pu pêcher pendant la nuit, puis ils font l’expérience de l’obéissance à la parole de Jésus qui les conduit à la réalisation d’un miracle, et alors, ils deviennent disciples. De manière synthétique : expérience de leur pauvreté, expérience de la grandeur de Dieu, conversion. Nous retrouvons presque le même schéma dans la première lecture qui nous donne à entendre la naissance de la vocation du prophète Isaïe : vision grandiose de Dieu, prise de conscience de sa petitesse et de sa finitude, intervention de Dieu qui guérit les complexes du prophète et l’envoie en mission.
Dans le fait de devenir disciple, il y a au cœur le fait de vivre une expérience profonde de Dieu. À nouveau frères et sœurs, j’attire votre attention sur ce point. Bien souvent dans la paroisse nous faisons des appels pour monter une équipe pour tel ou tel projet, parce que nous avons besoin de catéchistes, de personnes pour accompagner les catéchumènes, pour préparer les sacrements etc… Ne perdons pas de vue les uns et les autres qu’il est toujours bon de proposer à des personnes nouvelles de rejoindre le travail missionnaire de l’Église, pas simplement pour soulager notre charge ou notre fatigue, mais en réalité pour permettre aux gens de vivre une expérience de Dieu. Le premier intérêt ne doit pas être celui de nous soulager, mais de permettre à des gens de rencontrer plus profondément Jésus et de faire l’expérience de sa grandeur, de sa bonté, de sa miséricorde, de son amour et de sa fécondité. Et j’en profite pour rappeler que même si parfois les services sont lourds, je pense au catéchisme où les enfants ne viennent pas, les parents ne préviennent pas, je pense aux équipes de ménage etc… bref, si parfois les services paroissiaux sont lourds, c’est d’abord une grâce qui nous est faite à tous de pouvoir travailler à la vigne du Seigneur. Plus qu’un service à rendre, nous travaillons en fait à notre propre salut et au salut dans nos frères et sœurs.
Le cœur de l’expérience de Dieu, outre la rencontre qu’elle permet, résidera dans le fait que désormais le disciple ne se fondra plus sur son expérience mais sur la parole de Dieu. C’est ce que dit Pierre dans l’Évangile : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » La boussole du disciple n’est plus ce qu’il pense, la manière dont il voit les choses, mais l’obéissance et la confiance à la parole du Seigneur qu’il a entendue. Alors le disciple est prêt à recevoir une mission : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras. »
La mission du disciple ne consiste pas forcément en un changement radical d’activité. Bien sûr nous connaissons des personnes engagées dans une profession et qui, pour répondre à l’appel de Dieu, vont tout laisser et devenir prêtre ou bien religieux ou bien religieuse. Mais de manière générale, devenir disciple de Jésus n’implique pas forcément un changement d’activité. Les 4 premiers disciples étaient des pêcheurs et vont devenir pêcheurs d’hommes. Bien sûr il ne s’agit pas de la même pêche, mais il y a un dynamisme caractéristique qui demeure : aller chercher et ramener, rassembler. Ce que l’on peut dire de manière certaine quels que soient les cas de figure, c’est que le fait de devenir disciple implique une transformation profonde du cœur. Et le point d’ancrage n’est plus ma propre vision mais l’obéissance à la parole du Seigneur. Mais pour cela, certaines dispositions sont nécessaires. L’Évangile nous les présente : s’éloigner du rivage, c’est-à-dire prendre de la distance avec tout ce qui fait le quotidien de notre vie, être capable de prendre de la hauteur et de mettre les choses, les réalités à distance. Avancer en eau profonde, cela signifie avancer dans la profondeur de son être, de son cœur, aller au plus profond de soi, là où Dieu habite et nous attend ; cela signifie oser aller sur des terrains qui ne nous sont pas familiers, où nous n’avons pas forcément nos sécurités mais où le Seigneur nous appelle. Ces dispositions présupposent la foi en Jésus, la confiance dans ses paroles et ses promesses et la liberté pour être capable de quitter quelque chose pour aller vers autre chose. Il est bon pour tous ceux qui rendent un service à l’Église, à la paroisse, au diocèse, de s’ interroger sur ses propres dispositions qui nous permettent d’être de vrais et de bons disciples. En premier lieu : quelle écoute avons-nous de la parole du Seigneur ? Quelle obéissance ou docilité à ce que nous dit Jésus ou l’Esprit-Saint ? Quelle liberté avons-nous par rapport à nos propres filets : nos entourages, nos réseaux, nos activités, nos habitudes ?
Frères et sœurs, pour terminer, j’aurais souhaité juste m’arrêter sur l’appel des premiers disciples qui sont deux couples de frères. Même si Jésus nous appelle à des relations nouvelles les uns avec les autres, même si Jésus donne une nouvelle consistance à la famille au sens chrétien du terme, c’est-à-dire non plus fondée exclusivement que sur les liens du sang mais également sur la docilité à l’accomplissement de la volonté du Seigneur, Jésus honore et sanctifie la famille. Nous le voyons parce qu’il a choisi de naître dans une famille ; nous le voyons parce qu’Il appelle deux fois 2 frères à devenir disciple. Jésus souligne ainsi l’importance et la beauté de la famille, ainsi que l’importance et la beauté des relations fraternelles, invitant par là-même son Église à devenir une famille, une communauté de frères et sœurs comme dans les familles. Au cours de cette messe, demandons au Seigneur de rendre notre cœur attentif à appeler des personnes nouvelles dans les services paroissiaux que nous pouvons côtoyer ou assumer, prions pour les vocation sacerdotales et religieuses dont notre Église a besoin. Puisse l’ensemble des baptisés redécouvrir au fond de leur cœur l’appel du Seigneur à Le suivre et avoir la force d’y répondre généreusement. Amen !
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