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3ème Dimanche de Pâques
Frères et Sœurs,
Le récit bien connu des pèlerins d’Emmaüs attire notre attention sur le risque d’être des disciples morts de Jésus. Au début du récit, les deux disciples sont aveuglés, ils ont le cœur fermé ; Jésus est présent, ils ne le reconnaissent pas. Ils sont comme des morts vivants, enfermés dans leur peine, leur tristesse, repliés sur eux-mêmes. Tout au contraire, nous sommes invités à être des disciples vivants, qui vivent du Ressuscité et non pas des disciples peut-être bons, fidèles, loyaux, courageux, mais morts !
Le premier point qui fait de nous des disciples vivants est que Jésus nous rejoint. Dieu l’a fait à Noël : c’est Lui qui vient à nous. Jésus le fait avec ses disciples : Marie-Madeleine, Jean, Pierre, Thomas, les disciples d’Emmaüs. Il le fait aussi avec nous. Le critère de discernement de Jésus qui nous rejoint est la nouveauté qui surgit ! Le Ressuscité qui nous fait don d’une vie nouvelle apporte toujours en nous la nouveauté ! Qu’y a-t-il de nouveau qui nous est apparu ?
Cette attention à la nouveauté qui surgit, nous devons et nous devrons l’avoir également dans notre vie ecclésiale. Trop souvent, nous pouvons être des disciples « fonctionnarisés » qui faisons comme on a toujours fait. Nous pouvons nous-aussi être aveugles ou aveuglés parce que ce qui se dessine, ce qui s’esquisse, qui ne correspond pas vraiment à ce que moi je pense et perçois comme devant être fait, comme si j’étais détenteur de la vérité et de la juste norme. Et il arrive que de ce fait, je porte un faux jugement sur l’œuvre que Dieu est en train de s’accomplir dont je ne perçois pas la nouveauté et il arrive même que je m’auto-exclus. Je deviens un disciple mort qui ne porte plus la Vie ! Notre lien à l’Eglise, telle qu’elle est, et non telle que je la rêve ou l’idéalise, est déterminant pour être un chrétien vivant et non mort-vivant. Je vais revenir plus loin sur ce point très important.
Le récit évangélique des pèlerins d’Emmaüs est une sorte de catéchèse qui nous enseigne les différents lieux où l’on peut rencontrer Jésus Ressuscité.
Le premier lieu est l’Ecriture. Non seulement Jésus nous révèle que l’Ecriture parle de Lui, mais en plus, Jésus nous révèle qu’Il est la clé de lecture de l’Ecriture. On peut lire la Bible avec curiosité, pour connaître ce que raconte ce « grand livre » ; on peut la lire avec un intérêt historique, avec un intérêt intellectuel ou simplement culturel. Tout cela est bien, mais un chrétien lit la Bible avec son cœur qui est le lieu profond où Dieu habite en nous. La Parole de Dieu contenue dans l’Ecriture est une Parole qui touche, nourrit et transforme notre cœur : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait l’Ecriture ? » se demandent les disciples d’Emmaüs. Dieu ne parle jamais pour rien. Si l’Ecriture ne transforme pas quelque chose en moi, alors c’est que je ne me suis pas suffisamment laissé toucher par la Parole. La prière la plus aboutie et la plus complète à partir de l’Ecriture est ce que la tradition monastique appelle la lectio divina, la lecture divine. Puisque nous avons un peu plus de temps pour soigner notre prière en ce moment, je vous en redonne les principales étapes, que je vous invite à essayer de mettre en œuvre. Dans la lectio divina, il y a 4 étapes :
-1) la lectio : je lis un texte. Que dit ce texte ? Qu’est-ce qu’il raconte ? Il est bon de pouvoir consulter les notes de la Bible ou bien les présentations des livres dans la Bible qui nous donnent des éléments sur le contexte pour avoir une compréhension plus juste de la lecture.
-2) la meditatio : à travers ce texte, l’Esprit-Saint a quelque chose à me dire à moi personnellement. Que me dit le texte ?
-3) l’oratio : puisque Dieu me parle à travers ce texte, cette parole, qu’est-ce que je lui réponds ? Là nous entrons dans une sorte de dialogue intérieur avec Dieu.
-4) la contemplatio : nous arrivons à cette étape après avoir franchi les 3 premières. Dans ce temps, nous sommes au-delà des mots et notre âme se nourrit de la Parole qui nous a donné sa saveur, son fruit…et nous vivons de cette substance divine qui est sortie de la Parole écrite.
Dans le prolongement de l’Ecriture, le récit des pèlerins d’Emmaüs évoque de manière très discrète un autre lieu de présence de Jésus Ressuscité ; il s’agit de l’enseignement : « Et partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur interpréta dans toute l’Ecriture, ce qui le concernait. » L’Ecriture nous enseigne. Pourquoi ne pas profiter du temps pascal pour remettre notre nez dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique ? L’enseignement qui y est exposé est un développement immédiat de l’Ecriture Sainte. Vous serez surpris de voir que la base du Catéchisme de l’Eglise Catholique n’est autre que la Bible ! Jésus enseignait les foules ; Jésus Ressuscité enseigne son peuple à travers son corps ressuscité qui est l’Eglise !
Le deuxième lieu où l’on rencontre le Ressuscité est l’Eucharistie. A la différence de la présence de Jésus Ressuscité dans l’Ecriture, qui est une présence spirituelle, la présence de Jésus dans le Pain Consacré est une présence réelle, c’est-à-dire spirituelle et corporelle. C’est la raison pour laquelle Jésus, homme ressuscité, s’efface une fois que les disciples l’ont reconnu dans le Pain Consacré. L’Eucharistie est la plus haute manifestation de la présence de Jésus Ressuscité. Loin d’opposer ces deux modes de présence qui n’ont pas la même plénitude, nous ne pouvons qu’apprécier le fait qu’il y ait plusieurs modes de présence de Jésus Ressuscité. Il y a des gens qui n’ont pas accès à la sainte communion, ou bien par leur état de vie, ou bien en raison de la maladie, ou bien parce qu’il n’y a pas de prêtre…Je voudrais citer à ce propos un passage du Cardinal Sarah dans son livre Des profondeurs de nos cœurs, co-écrit avec Benoît XVI qui parle de la privation de l’Eucharistie. Le Cardinal Sarah écrit : « Au début des années 1976, alors jeune prêtre, je me suis rendu dans certains villages reculés de Guinée. Certains d’entre eux n’avaient pas reçu la visite d’un prêtre depuis presque 10 ans, car les missionnaires européens avaient été expulsés en 1967 par Sékou Touré. Pourtant les chrétiens continuaient à enseigner le catéchisme aux enfants et à réciter les prières de la journée et le chapelet. Ils manifestaient une grande dévotion envers la Vierge Marie et se réunissaient le dimanche pour écouter la Parole de Dieu. J’ai eu la grâce de rencontrer ces hommes et ces femmes qui gardaient la foi sans aucun lien sacramentel, faute de prêtres. Ils se nourrissaient de la Parole de Dieu et entretenaient la vitalité de la foi par la prière quotidienne. Je ne pourrai jamais oublier leur joie inimaginable lorsque je célébrais la messe qu’ils n’avaient pas connue depuis si longtemps. »
Mon homélie est longue ; je ne vais l’allonger encore plus. Je termine par ceci : après avoir fait l’expérience du Ressuscité, les disciples d’Emmaüs « se levèrent et rentrèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les 11 Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité ; Il est apparu à Simon-Pierre. » A leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route etc… » Autrement dit, l’expérience du Ressuscité les conduit de manière nouvelle à l’Eglise. Ils se retrouvent ensemble, et mettent en commun leurs expériences de Jésus. Voilà un autre lieu de présence du Ressuscité : la vie en Eglise. Une vie renouvelée par l’expérience pascale. Prions pour que nous puissions nous-aussi faire l’expérience d’un lien renouvelé à l’Eglise, avec nos communautés, réelles, telles qu’elles sont et non idéalisées. Le Ressuscité transforme les réalités, et fait tomber les idéologies ou les utopies. Si chacun de nous se laisse transformer et renouveler, nos communautés, notre paroisse connaîtront une forte crise de croissance. Amen !
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