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26ème Dimanche du temps ordinaire
« Lequel des deux a fait la volonté du Père ? »
Frères et sœurs,
La question qui nous est posée en ce dimanche est celle de la volonté de Dieu. « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? » demande Jésus aux grands prêtres et anciens. Pour nous, cette question est double : quelle est la volonté de Dieu et comment faire la volonté de Dieu ? C’est à ce point difficile, que Jésus nous dit de le demander dans notre prière : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »
Le premier élément qui saute aux yeux à partir de cette page d’Évangile est que la volonté de Dieu ne réside pas dans une réponse donnée à un moment précis, mais elle réside dans une réalité qui se construit dans le temps. Jésus nous montre que Dieu n’enferme jamais une personne dans son histoire.
Et ce sera mon premier point de réflexion : Dieu n’enferme jamais une personne dans son histoire. Toute l’Histoire Sainte nous le redit. Dieu, non seulement a l’initiative de l’Alliance, des renouvellements d’Alliance, mais encore Il passe et répare les trahisons de son peuple. Dieu ne s’est jamais arrêté aux trahisons. Dans son ministère public, Jésus, Fils de Dieu, n’a cessé de libérer les gens de leur histoire, de leur péché. Combien de fois dit-Il dans l’Évangile : « Va et désormais, ne pêche plus. » C’est l’homme qui a tendance à s’enfermer dans son péché, dans ses reniements, dans ses trahisons, ou ses échecs. Jésus lui aussi a connu des échecs. Et que fait-Il ? Il les remet à Dieu. Dieu est toujours Celui qui libère, jamais Celui qui enferme. Il faut appliquer ce que je dis là à chacune de nos vies. Nous aussi, nous pouvons nous laisser enfermer dans notre histoire, dans ce que nous avons fait, raté, dans notre péché, nos habitudes, au point de perdre l’espérance d’en sortir ou d’en être libéré. Mais en Dieu, qui connaît notre passé et déjà notre futur, l’important est le moment présent : qu’est-ce que je veux ? qu’est-ce que je choisis ? Spirituellement, j’attire votre attention sur le point suivant : c’est le démon qui nous conduit à nous enfermer sur nous-même et à nous déprécier ou à nous dévaluer. Dieu agit complètement différemment : Il nous aime infiniment, même s’Il n’aime pas notre péché, et c’est par son amour inconditionnel que nous pouvons refonder notre être, nous ré-estimer de manière juste (en intégrant nos limites, pauvretés, péchés). On ne sauve pas une créature en la détestant, mais en l’aimant. Il y a une bonne culpabilité, c’est celle qui conduit à nous mettre en vérité et à reconnaître notre péché, nos erreurs et qui nous conduit à la volonté de réparer et à accueillir le pardon; et il y a une mauvaise culpabilité ; c’est celle qui nous conduit à ne pas nous aimer, à nous déprécier et à nous sentir indignes d’être sauvés ou même pardonnés : celle-ci vient du démon.
La question du rapport à notre propre histoire nous pose la question du temps et de notre rapport au temps. Ici plusieurs points sont à prendre en compte. En premier lieu, Dieu qui est dans l’éternité, est maître du temps. C’est Lui qui l’a créé et qui nous le donne. Comme toute chose créée par Dieu, le temps est donc fondamentalement bon. C’est curieux, voyez-vous, parce que nous avons plutôt tendance, d’un point de vue humain, à considérer le temps comme un ennemi ou comme une menace : dans le temps on vieillit, on s’approche de la mort…et pourtant, le temps est fondamentalement bon. Regardez combien le temps sert la croissance, dans la nature, mais aussi chez nous.
Dans un deuxième temps, le temps est pour nous un allié. Dieu agit dans le temps. C’est dans le temps qu’Il construit son Alliance avec nous, de manière générale, mais aussi de manière personnelle. Le temps permet la manifestation de la miséricorde de Dieu. Les textes de ce jour nous montrent combien le temps est au service de notre conversion. La volonté du Père prend en compte le facteur temps. La conversion est au service de la Vie. Le prophète Ézechiel le rappelle : « Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Il a ouvert les yeux et s’est détourné de ses crimes. C’est certain il vivra, il ne mourra pas. » En permettant la conversion, le temps est au service de la vie. Pour revenir à la question initiale, la volonté du Père se découvre, se construit dans le temps. Elle ne consiste pas seulement en une réponse donnée à un moment voulu, mais elle se déploie dans le temps qui lui donnera toute sa fécondité et sa puissance. Frères et sœurs, réfléchissons bien à la question de notre rapport au temps : elle est profondément positive et doit nous préparer à l’éternité pour laquelle nous sommes faits. Voir le temps comme un allié est déjà nous préparer à l’éternité.
Je reviens sur la question de la conversion qui se réalise et se vérifie dans le temps. Lorsque l’on parle de conversion, il faut bien distinguer deux réalités : il y a le moment décisif où j’ai découvert Dieu plus profondément, où quelque chose s’est révélé ou dévoilé (par ex Saul sur le chemin de Damasse) et il y a ce qui se construit dans le temps, qui vérifiera l’authenticité de la conversion vécue en un moment précis. L’Église prend toujours en compte cette dimension du temps ; par exemple, lorsqu’elle déclare Bienheureux ou saint une personne, elle regarde comment le temps a vérifié la conversion survenue. Il faut en fait penser notre conversion dans le temps jusqu’au moment où, là il y aura une fin, au moment où ce sera fini, parce que nous mourrons et nous rencontrerons Dieu. Là, la conversion sera terminée. Nous nous présenterons devant Dieu selon la conversion réalisée tout au long de notre vie. Dieu, par le ministère de Jésus, est très « doux » si l’on peut dire. L’Évangile nous révèle que Jésus donne toujours la direction de la conversion : Il ne la tait jamais ou ne la cache jamais. « Va et désormais ne pêche plus. » Jésus est clair, Il demande de ne plus pécher ; Il ne dit pas : « Va ! » Mais Il prend en compte et laisse place à toutes les chutes, tous les reniements possibles. Ce qui sera pris en compte, comme dans l’Évangile du jour, c’est le fait, malgré nos péché, nos chutes, de nous convertir pour choisir de retourner vers Dieu et de convertir notre vie. On appelle ce principe, mis en œuvre par Jésus dans son rapport aux pécheurs, la Loi de gradualité. C’est-à-dire qu’il y a un objectif clair vers lequel il faut tendre ; chacun fait l’effort d’y tendre, et c’est dans cet effort que se joue notre salut et notre sanctification. Saint Jean-Paul II, qui a défendu l’enseignement moral de l’Église mis en cause par le monde moderne, s’est beaucoup appuyé sur la Loi de gradualité. L’objectif n’est pas d’atteindre telle ou telle perfection, mais d’y tendre en avançant pas à pas. Que tous ceux qui se sentent en décalage ou pas complètement raccord avec l’enseignement de l’Église sur tel ou tel point entrent dans ce chemin de la Loi de gradualité. Le principal est d’avancer pas à pas, à notre rythme, jusqu’où nous pourrons. La Loi de gradualité est à distinguer de la gradualité de la Loi, qui est une remise en cause et une contestation de la Loi, qui manifeste un refus de conversion. L’alternative est simple : comme je refuse de me convertir, il faut changer la Loi qui alors évidemment n’est pas bonne, pas actualisée etc…Cette conception n’est pas conforme à l’enseignement de Jésus. Dans la conception de la Loi de gradualité, il faut faire bien attention à évoquer l’objectif final de la Loi. Annoncer clairement l’objectif auquel il faut tendre ne constitue pas une opposition à l’accompagnement des gens. Mais il ne faut pas les tromper, et il faut dire clairement les choses. Sinon, on devient complice d’un mal. Jésus n’a jamais tu ou caché les objectifs de la Loi. Regardez l’enseignement des Béatitudes. Mais aujourd’hui, sous couvert d’une conception mal comprise de l’accompagnement, on masque souvent l’objectif de la Loi que l’on préfère taire. Ce danger guette l’Église, aussi bien dans son Magistère, chez des évêques mondains qui, sous couvert d’accompagnement des personnes, ne rappellent plus ou n’enseignent plus les règles morales de l’Église, que chez les prêtres, fidèles, ou même parents. Par exemple, est-il juste de taire l’enseignement de l’Église sur le respect de toute vie, notamment au début et à la fin de l’existence humaine, sous prétexte qu’il ne faut pas blesser les personnes concernées ? Est-il juste de taire l’enseignement de l’Église sur les questions de sexualité pour ne pas froisser ou indisposer les personnes vivant les relations autrement que l’Église ne l’enseigne ? C’est dans ces situations difficiles que la Loi de gradualité prend toute sa place.
Frères et soeurs, à la suite de St Paul dans la deuxième lecture, demandons au Seigneur la grâce de l’humilité pour ne pas mettre en cause ou rejeter la Loi lorsque cette dernière ne nous convient pas ou ne nous plaît pas, mais pour avancer humblement et en vérité sur le chemin de la conversion. Amen !
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