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24ème Dimanche du temps ordinaire
« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. »
Frères et Sœurs,
Au lendemain de la fête de la Croix glorieuse, le hasard liturgique nous fait entendre cette parole de Jésus : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Je voudrais réfléchir avec vous ce matin sur cette parole de Jésus qui définit à la fois notre vocation et notre identité de chrétien ; et pour ce faire, je voudrais entrer dans ma méditation en regardant plus précisément St Pierre et l’échange qu’il a avec Jésus.
Saint-Pierre est intéressant. Il est celui qui par rapport aux autres disciples se mouille plus, prend plus de risque et donne une réponse juste, lorsqu’il confesse que Jésus est le Christ. Bonne réponse ! Et immédiatement après, après avoir reconnu la divinité de Jésus, il conteste la prophétie de Jésus concernant sa souffrance, sa Passion et sa Résurrection. En moins de cinq minutes, Pierre est passé d’une bonne réponse à une sévère reprise par Jésus avec cette parole : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ». Frères et sœurs, que peut-on dire au sujet de cet échange ?
Je crois que la première chose qui saute aux yeux est que le démon vient perturber notre relation à Dieu, comme il le fait dans le livre de la Genèse où il vient semer la discorde et la confusion entre la créature est le créateur, entre Ève et Dieu. De la même manière, alors que Pierre a reconnu Jésus dans son identité profonde, il vient dévoyer la relation en faisant que Pierre va poser sur Jésus sa propre vision, sa propre perception, ses propres pensées et attentes. Mais frères et sœurs, n’est-ce pas une tentation, une réalité qui nous guette tous ? De tout le temps, qui que nous soyons, nous projetons sur Dieu notre propre vision de Lui, en fonction de la manière dont nous Le percevons. De tout temps nous avons le risque de faire de Dieu une réalité à notre image, qui nous corresponde, qui nous convienne. Mais Dieu se révèle toujours autre que nous ne l’avons perçu, ou reconnu. La relation personnelle que nous avons avec Dieu nous appelle sans arrêt à nous convertir car Dieu ne se révèle jamais de la même manière qu’Il s’est fait déjà connaître à nous. De la sorte, Il nous pousse sans arrêt nous ouvrir à Lui qui se révélera être toujours différent. Nous comprenons alors comment le démon vient progressivement fausser et dévoyer notre relation à Dieu, en faisant qu’imperceptiblement, nous attendons un Dieu comme nous Le voulons. Les pharisiens dans l’Évangile illustrent ce danger.
Pour échapper à ce risque, il nous faut sans arrêt chercher Dieu, jamais L’attendre tel que nous voudrions qu’Il soit. Il faut nous garder de projeter nos propres idées sur Dieu ou même sur l’Église, puisque ceux qui plaquent sur Dieu leurs propres idées le font également sur l’Église qui doit correspondre à ce que eux en attendent, à ce que eux souhaitent ou désirent. Le problème, c’est qu’il ne faut pas partir de son moi mais il faut accepter d’accueillir Dieu tel qu’il se révèle, accueillir l’Église telle qu’elle se dessine et se donne. La véritable qualité première de la conversion est le fait d’accueillir et non de vouloir. Il y a ici un décentrement essentiel de son moi qui constituera une attitude de fond juste pour entrer en relation avec Dieu, et qui nous préservera de la tentation du démon qui est finalement de nous modeler un Dieu à notre image.
Ce premier élément consiste donc à mettre Dieu en premier dans la relation et non nous. Je reprends alors la parole de Jésus : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » « Renoncer à soi-même », ce n’est pas se négliger, ne pas s’occuper de soi, s’auto-détruire, c’est mettre Dieu en premier. Effectivement, c’est une réalité de la foi chrétienne que, pour se trouver soi-même, il faut mettre Dieu en premier, car c’est Dieu qui nous fait devenir nous-mêmes, c’est Lui qui nous révèle qui nous sommes appelés à être et à devenir. Renoncer à soi-même, cela veut dire mettre d’abord Dieu en premier. Cela peut se décliner de plusieurs manières.
Tout d’abord dans la vie de prière. Notre vie de prière ne doit pas être une excroissance de mon moi et de ma vie, mais elle doit être une rencontre avec Dieu. Une vraie prière consiste en un décentrement de soi pour nous mettre en quête de Dieu. Une fois que nous L’avons trouvé, alors notre prière devient une réponse à Dieu et elle devient dialogue. Certaines personnes pensent prier mais sont dans un véritable monologue qui tourne autour de leur moi. Je vous donne un exemple de la conversion que nous sommes appelés à vivre dans notre vie de prière. Si nous prions le soir pour remercier de notre journée, nous ne devons pas dire : « Je suis heureux parce que j’ai vécu telle ou telle chose, » mais « Merci Mon Dieu, parce que tu m’as donné de vivre telle ou telle chose ».
Mettre Dieu en premier se décline également dans la liturgie. La finalité première de la liturgie est de rendre un culte à Dieu. Et c’est dans ce culte rendu à Dieu que nous trouvons notre juste place. La liturgie court toujours le risque de devenir une sorte d’auto célébration de l’homme. Dans la liturgie, on se décentre de nous, de nos propres conceptions, de nos propres compréhensions pour entrer dans le mystère de Dieu qui se donne à nous. Je sais bien que c’est un sujet sensible pour certains, mais c’est le génie de la langue latine utilisée dans la liturgie de l’Église romaine que de permettre ce décentrement parce qu’elle nous fait sortir de nous-mêmes, de notre univers pour entrer dans une autre dimension.
Enfin mettre Dieu en premier c’est également Le mettre en premier dans l’évangélisation. L’évangélisation, la mission ne consistent pas à construire de beaux plans, de belles actions, de beaux projets mais d’abord à nous mettre à l’écoute de ce que Dieu nous dit à travers l’Esprit-Saint qui nous parle et qui fait grandir aujourd’hui des semences nouvelles dans l’Église. Évangéliser aujourd’hui ne consiste pas seulement à diagnostiquer les problèmes et les enjeux, mais également à percevoir tout le travail de renouveau que produit l’Esprit-Saint. Je vous donne un exemple. Le nombre important de catéchumènes est un signe d’un renouveau profond de l’Église. Que nous dit Dieu dans la période que nous vivons ? Quels appels nous lance-t-Il ? Quels dynamismes l’Esprit-Saint fait-Il surgir ? Voilà les questions à partir desquelles il faut bâtir l’évangélisation et la mission aujourd’hui. Et non pas seulement partir de diagnostics à vue humaine du manque du nombre de prêtres, de paroisses qui s’agrandissent indéfiniment, du manque de ressources humaines en tel ou tel endroit. Le décentrement dont je parle ici a pour finalité un recentrement sur Dieu que l’on retrouve dans la parole de Jésus : « Qu’il renonce à lui-même, (…) et qu’il me suive. » Renoncer à soi-même, c’est pour mettre Jésus d’abord.
Il reste cette partie de la parole de Jésus : « qu’il prenne sa croix ». Comment comprendre cette parole ? La croix est d’abord le lieu où Jésus va s’offrir, se donner Lui-même ; elle est le lieu d’un don de soi aux autres, librement consenti. Devenir disciple de Jésus nous appelle à nous donner aux autres. La croix est ensuite de lieu de l’Amour ; car c’est l’Amour qui explique ce don aux autres. C’est l’Amour tout-puissant de Dieu qui fait que la Vie va investir ce lieu du mal, de la souffrance et de la mort. Si Jésus vainc la croix, c’est par l’Amour qu’Il a porté jusqu’au bout. Par suite, la croix devient le lieu d’une fécondité nouvelle, surnaturelle, qui dépasse le mal et la mort pour faire triompher la Vie. Je peux vous raconter une petite histoire qui vous dira cela de manière plus simple, plus enfantine et plus belle. Un ami me rapporte un échange avec sa petite fille. La petite fille dit à son papa : « Papa, tu sais que Marie et Jésus font de la boxe ? » « Ah bon, pourquoi ? » répond le papa. « Parce qu’ils tapent sur le diable. » Et le papa de répondre : « Tu sais quoi, Marie et Jésus ne font pas de boxe, car ils battent le diable avec l’Amour et non pas avec de la violence. » La petite fille a un visage émerveillé et tout transformé. Tout est dit là, bien mieux que dans une homélie. La victoire de Dieu se fait par l’Amour, en investissant d’Amour tout ce qui en est dépourvu, le mal, la mort.
La parole de Jésus : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » nous invite à entrer dans une vie donnée, à l’investir par l’Amour ; elle est une invitation à communier au sacrifice de la croix qui nous obtient le salut. Jésus veut associer à son sacrifice ceux-là qui en sont déjà les premiers bénéficiaires. Le trésor de cette parole, plus qu’une invitation à la souffrance, est la Communion qui nous est offerte avec Jésus qui, Lui, nous donne la Vie, la victoire. Là aussi, nous sommes invités à convertir notre regard. La victoire du Bien, la réussite, le succès ne se déroulent pas de manière humaine, sans la croix, mais passent par la croix qui purifie, convertit et apporte la victoire de Dieu sur le mal et la mort. L’homme peut réussir quelque chose, un projet ; il n’a pas le pouvoir de vaincre le mal et la mort ; seul Dieu le peut. Et cette victoire passe par la croix. Amen !
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