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Solennité de la Pentecôte
« Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun deux. »
Chers Frères et Sœurs,
Les textes de la liturgie de cette solennité nous donnent deux récits de la Pentecôte. L’un, tiré des Actes des Apôtres, entendu en première lecture, nous donne le récit de la Pentecôte de manière chronologique : 50 jours après Pâques. L’autre, tiré de l’Évangile selon St Jean, nous rapporte l’évènement de la Pentecôte au soir du jour de la Résurrection, c’est-à-dire le dimanche. Nous savons qu’il s’agit du même évènement, parce que dans l’Évangile selon St Jean, Jésus dit à ses Apôtres : « Recevez l’Esprit-Saint » et Il leur souffle dessus. Il s’agit du don de l’Esprit-Saint. Et Il les envoie en mission avec ces paroles : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Or nous savons que la Pentecôte est le moment où les Apôtres sont envoyés en mission. Il est donc intéressant de remarquer que le même évènement est rapporté de manière différente, tout comme pour l’institution de l’Eucharistie chez St Jean. Je vous propose donc de regarder ce que chacune de ces relations nous dit de la Pentecôte.
Intéressons-nous d’abord au récit de la Pentecôte chez St Jean. St Jean met de côté l’aspect chronologique pour mettre l’évènement de la Pentecôte le même jour que la Résurrection. Il nous dit par-là que la Pentecôte est liée au même mystère que la Résurrection, voire qu’il l’achève. Si les deux versions du même évènement s’accordent pour dire que la Pentecôte correspond à l’envoi en mission de l’Église, cela veut dire que la mission de l’Église fait partie du dynamisme de la Résurrection. La Résurrection de Jésus n’est pas que la manifestation de la victoire de Dieu sur le mal et sur la mort, elle n’est pas que la confirmation que la vie qui continue après la mort, elle est aussi la maturation de l’Église, Corps du Christ, qui aura la mission de perpétuer la mission de Jésus. Le récit de St Jean précise le contenu de cette mission : « Recevez l’Esprit-Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » Nous voyons qu’il y a une dimension sacramentelle dans le contenu de la mission de l’Église. Ainsi se précise la mission de l’Église : annoncer la Résurrection de Jésus (et c’était le sens de ces 40 jours qui séparaient la Résurrection de l’Ascension : affermir les disciples dans l’expérience de la Résurrection) et transmettre la vie divine par les sacrements. Le sacrement du baptême, qui jaillit du coeur même du Ressuscité, est intimement lié à la fête de Pâques, puisqu’il donne la vie du Ressuscité. D’ailleurs, avant même la Pentecôte, au moment de son Ascension, Jésus donne déjà mission à ses Apôtres de baptiser les nations « au Nom du Père et du Fils et du St Esprit ».
Les paroles de Jésus entendues dans l’Évangile évoquent deux autres sacrements : la confirmation et le sacrement de la rémission des péchés. Celui de la confirmation est lié à la Pentecôte : nous voyons ici Jésus l’instituer. Quant à celui de la rémission des péchés, nous voyons Jésus le transmettre à son Église : « À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » Désormais, ce n’est plus Jésus qui remet les péchés, mais l’Église au nom de Jésus.
Le récit de la Pentecôte chez St Jean nous dit que la Pentecôte accomplit la fête de Pâques en même temps que la mission de l’Église, outre l’annonce de la résurrection de Jésus, consiste à transmettre les grâces, que Jésus administrait par contact, désormais par les sacrements.
Je voudrais maintenant m’arrêter sur le récit de la Pentecôte issu des Actes des Apôtres (le récit chronologique) et plus particulièrement m’arrêter sur la transformation intérieure des disciples qui vont passer de la peur et de l’enfermement sur eux-mêmes à l’évangélisation des peuples et à la sortie vers le monde et dans le monde. Un des dons de la Pentecôte est clairement la transformation du rapport au monde. Avec la Pentecôte, le monde n’est plus un ennemi, un danger, il devient un terrain à évangéliser où l’Esprit-Saint a déjà travaillé les cœurs et attend les disciples. La Pentecôte marque le début d’une transformation où l’Église qui, de minoritaire qu’elle était, va entamer un chemin de croissance. Aujourd’hui, en tout cas dans nos sociétés occidentales, nous vivons le processus inverse : nous passons d’une situation de majorité (il y a encore une 50 aine d’années) à une situation de minorité. De ce fait, notre rapport au monde se modifie. Il y a 50 ans, la société française était encore chrétienne dans ses références, ses hommes politiques, ses structures, sa mentalité, ses lois. Aujourd’hui, elle ne l’est plus. Il y a 60-70 ans, nous assistions à des mouvements chrétiens comme l’Action catholique, la mouvance des prêtres ouvriers qui portaient le souci de rejoindre les gens qui s’éloignaient d’une pratique intérieure de la foi. Aujourd’hui cette mouvance est en fin de vie, tout simplement parce qu’elle ne correspond plus à la réalité de la société et de l’Église. Pour autant, loin de moi de dire que ces intuitions n’étaient pas bonnes. Le problème est qu’elles se sont déchristianisées pour ne plus annoncer Jésus et pour la plupart du temps ne devenir qu’un message de tolérance et de fraternité duquel Dieu est absent. Et aujourd’hui, nous assistons à la coexistence de 2 tendances dans l’Église. Une tendance qui tend à dissoudre la foi et la pratique de la foi dans le monde : le témoignage de vie silencieux va primer sur l’annonce explicite de la foi ; et, dans cette ligne, il ne faut pas s’opposer aux évolutions sociétales. Une autre tendance qui tend à se regrouper entre personnes qui pensent pareil, qui ont les mêmes attentes, et donc, du coup, à se couper du monde qui redevient un danger. Les deux peuvent se comprendre ; pour autant, l’attitude qui me semble la plus juste se situe entre les deux. Il faut être lucide sur le monde et le risque de dissolution de la foi dans le monde qui concourt à étouffer la foi ; tout en voyant le monde non pas comme un ennemi, mais comme une terre qui attend l’annonce de l’Évangile.
Notre Église, nos paroisses ont besoin d’une transformation intérieure dans le rapport au monde. Et pour cela, il faut regarder la jeunesse de l’Église pour ce qu’elle dit et non pour ce que nous aimerions qu’elle dise. Aujourd’hui, les forces vives de la jeunesse de l’Église -les 18 / 35 ans- arrivent à la foi ou bien par la mouvance charismatique (des groupes de louange, de prière, d’évangélisation) ou bien par la mouvance traditionnelle. Qu’ont en commun ces deux mouvances ? de manière différente, elles remettent Dieu en premier et honorent le sens du sacré. Il ne sert à rien de les opposer : toutes deux viennent de Dieu et conduisent à Dieu. Dans ces deux mouvances, nous trouvons des jeunes qui prennent au sérieux l’Évangile, l’enseignement de l’Église et qui veulent vivre de manière conforme à ce que Dieu demande. Il est dommage que des personnes un peu plus âgées, issues d’une de ces deux mouvances ou non, veuillent ou récupérer ces expressions de foi ou ne les comprennent pas et vont les discréditer par des commentaires du style : « mouvance identitaire, réactionnaire, intégrisme. » Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que cette jeunesse est venue au monde, ecclésialement j’entends, dans une société qui n’est plus chrétienne. Ils ont donc dû s’affirmer plus fortement que leurs aînés. S’il fallait encore une preuve de ce que je vous dis, regardez le we de Pentecôte de l’année dernière. 3 évènements se déroulaient en même temps. Un rassemblement pour les 50 ans des SUF à Chambord ; le pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté ; deux évènements remplis de jeunes. Et la clôture de la phase nationale du synode sur le synodalité où l’Église de France a déploré partout l’absence de participation des jeunes. La démonstration est claire. L’Église a elle aussi besoin d’une transformation intérieure pour ne pas chercher à faire rentrer dans ses modes de fonctionnement la jeunesse, mais pour plutôt l’écouter et chercher à comprendre ce qu’elle lui renvoie. Son rapport au monde n’est pas le même que celui des aînés ; et c’est normal. Là se joue certainement une nouvelle Pentecôte pour l’Église ; puisse-t-elle la saisir !
Enfin, je souhaiterais terminer ma méditation sur la Pentecôte en réfléchissant avec vous sur l’unité dans l’Église. L’Esprit-Saint est en effet celui qui assure et l’unité de l’Église et sa catholicité comme le montre l’épisode des langues de feu qui se déposent sur chaque apôtre. Cette donnée vient compléter ce que je disais précédemment sur la jeunesse et les dynamismes que répand l’Esprit-Saint partout dans le monde et dans l’Église. L’épisode du dépôt des langues de feu sur les Apôtres nous rappelle que les Apôtres, et donc l’Église en tant qu’institution, a reçu le don de l’Esprit-Saint. Les ministres de l’Église, évêques, prêtres, diacres, ont reçu également cette onction de l’Esprit-Saint. Il ne faut donc pas par conséquent opposer dans l’Église les ministres qui ont reçu l’Esprit-Saint et les fidèles qui l’ont reçu également à travers l’onction du saint-Chrême. Cet unique don de l’Esprit à l’Église, aussi bien chez ses ministres que chez ses fidèles, nous redit que la source de l’unité est en Dieu et que par conséquent l’unité de l’Église est à construire à partir de Dieu. Toutes nos églises particulières (les diocèses, les paroisses), tous les mouvements ou groupes d’Église, découlent de l’Église Mère, qui en assure l’unité, la catholicité et qui en fait leur permet d’exister. S’il faut donc reconnaître comme un signe et une vitalité de l’Esprit-saint les groupes, les mouvements qui naissent dans l’Église, il faut aussi s’interroger sur leur propre communion avec l’Église Mère. Toutes les langues de feu particulières qui se posent sur les Apôtres viennent d’une seule langue de feu originelle. La vitalité des Églises particulières, des groupes particuliers, dépend de la communion avec l’Église catholique, communion qui est à soigner, parce que le diviseur sait altérer la communion pour faire diminuer ou scléroser la fécondité évangélique et missionnaire. Ce que je dis de manière générale est transposable au plan paroissial, avec les mouvements, les groupes ou les chapelles particulières et la paroisse en général.
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